Par Julie Crenn

Coraline de Chiara pratique un art du collage. Qu’il s’agisse de dessin, de vidéo, de peinture ou d’installation, elle travaille l’image par superposition et juxtaposition. Les livres d’occasion représentent une source d’inspiration intarissable. Sortis des bibliothèques, ses livres abandonnés dont le contenu semble périmé ouvrent pourtant des territoires insoupçonnés que l’artiste se plaît à réinvestir et à réactualiser. Au fil des pages, elle prélève des photographies de minéraux, de statuettes, de motifs, de paysages, de cartes, de peintures ou encore d’objets anthropologiques. Les images constituent une collection de trésors que l’artiste ne cesse de nourrir et développer. Les sujets et les objets sélectionnés proviennent de différentes époques, civilisations et géographies. Ils apparaissent comme les fragments d’une histoire collective envisagée sans limites ni de temps ni d’espace. Décontextualisés et combinés à d’autres images qui agissent comme des calques, ils semblent flotter dans l’espace-temps. Coraline de Chiara décide de retenir une image pour sa signification, sa portée (historique, artistique, culturelle, ethnologique, géologique, etc.), mais aussi pour ses qualités plastiques, ses aspérités et ses particularismes. Avec une dextérité technique incontestable, elle procède à un travail de reproduction à la mine de plomb ou à la peinture à l’huile. Elle prend soin de restituer le grain, la texture, la lumière, la couleur, la transparence, la brillance d’un crâne de Neandertal, d’une statuette figurant une joueuse d’osselets, d’une tête d’Héraclès en pierre, d’un cheval de la dynastie Tang en porcelaine, d’un cristal de sel ou d’une malachite.

La peinture et le dessin sont les mediums de prédilection de Coraline de Chiara. Sur la toile et sur le papier, elle reproduit avec fidélité les images récoltées. Elle respecte les codes couleur, la trame d’impression, les détails, les défauts. Couche par couche, le sujet est révélé. « Lorsque je peins, je pense aux différents niveaux de lecture et aux strates de couleurs. Une couleur est toujours la résultante de plusieurs additions de couleurs superposées. » Le respect de l’image source trouve ses limites avec l’injection d’accidents et d’éléments perturbateurs. En effet, pour ne pas réduire la transposition de la photographie en peinture à une simple compétence technique, elle introduit, non sans malice et ironie, des éléments intrus inhérents au travail d’atelier : un scotch de papier déchiré, une rature, un post-it, une note, une mesure, une feuille de papier calque ou de papier millimétré. Travaillés en trompe-l’œil, ces vestiges de la cuisine de l’image s’imposent, s’incrustent et nous offrent quelques indices sur la construction de l’œuvre. Ils contredisent la rapidité du déclencheur photographique et installent un autre temps, celui de la peinture. Ses éléments fonctionnent à la fois comme des marques d’appropriation des images, mais aussi comme un moyen de les repenser et de les réinvestir d’une nouvelle histoire et d’une nouvelle temporalité. Ils signalent la part d’invention et de création.

Au fil des œuvres, Coraline de Chiara construit un paysage transculturel au sein duquel elle articule une pluralité de figures, mythologiques et anonymes, de matériaux et de motifs. Un paysage, une nouvelle géographie dont la carte se déplie à l’infini. Les œuvres, pensées comme des collages, s’associent et engendrent de nouvelles ramifications qui résonnent alors comme la promesse de nouveaux territoires à fouiller et à expérimenter. Parallèlement, en analysant l’histoire de la peinture, son passé et son devenir, ses antagonismes, son exécution, elle arpente le territoire de la peinture. D’Ellsworth Kelly à Malcolm Morley en passant par Brice Marden et Jean-Baptiste Corot, ses références et inspirations engendrent un décloisonnement. À l’écoute des différents débats et des agitations souvent superficielles, elle tend à s’extraire des carcans picturaux pour mieux les fondre et les confondre.  

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