par Edwin Lavallée

JOUER AVEC LE JEU

Un jeu se définit d’abord par ses règles, ses principes, son terrain. Lorsqu’on pro- pose un jeu, on énumère les signes et les contours qui cadrent une expérience, les limites d’un espace physique et théorique à l’intérieur duquel le corps et l’esprit des joueurs pour- ront interagir. La valeur de ces interactions – ce qui se joue dans le jeu – résiste quant à elle à l’explication rationnelle, au commentaire et à la description, elle est imperméable au langage et reste inaccessible au dehors de l’action. Le jeu de l’art consiste bien souvent à brouiller cette frontière. L’énoncé de la règle et la valeur du jeu peuvent se confondre dans l’œuvre et obligent le regard à se mettre en mouvement, à jouer le jeu avec le jeu. C’est à ce genre d’expérience que les collages de Coraline de Chiara nous convient. Quand elle décide de découper des reproductions d’œuvres d’art dans des magazines d’art pour en faire une œuvre d’art, elle déjoue avec humour l’impératif de filiation de son travail à l’Histoire et fait de la référence une matière (d’autant que la reproduction d’une œuvre dans un magazine est indispensable à ce que celle-ci devienne justement une référence) et l’intègre, sans hiérarchie de valeurs, aux autres éléments qui entourent la pratique de l’ar- tiste : le scotch, la grille de composition, les notes. L’image obtenue offre un habile jeu de contrastes entre des signes et des matières, des symboles et des outils dont la cohabitation harmonieuse et inattendue déstabilise le regard. Les éléments qui constituent habituelle- ment l’amont et le dehors de la création sont détournés pour se montrer, l’extérieur devient intérieur, l’invisible visible, et les règles le jeu.