A propos de Merapiland
Coraline de Chiara est une artiste née à Jakarta en 1982, qui vit et travaille en France. Merapiland est le nom de sa deuxième exposition présentée à la galerie Perception Park à Paris, du 7 juin au 31 juillet 2013. Ce projet débute avec le voyage de l’artiste en Indonésie, son pays natal, pour l’année de ses 30 ans. Le titre de l’exposition Merapiland, qui dérive du nom du volcan indonésien Merapi, montre ainsi les liens qui se tissent entre le temps du voyage et celui de la création de cette exposition. Pourtant, ce « retour aux origines » est moins une quête identitaire qu’une interrogation sur le paysage et ce qui le façonne : l’Indonésie comme terre des volcans.
Pour comprendre cette exposition, il faut d’abord revenir à la littérature et à cette phrase de Marguerite Duras dans L’Amant, que Coraline de Chiara a transformé en effaçant le texte originel pour ne sélectionner que ces quelques mots, qui font sens par rapport à son projet : « La vie a mon visage / Et mon voyage a vieilli / Certains contours / Le colosse s’est éteint / Et avec lui / Le paysage sourd / Se replie », avant d’ajouter « Et je déplie / Un Merapi-land ». Derrière ce suffixe qui transforme le nom du volcan, l’artiste cherche à déplacer cette géographie de l’exotisme vers un lieu imaginaire, dans lequel se mêlent plusieurs traditions mythologiques et iconographiques. En effet, l’exposition se caractérise par ce mélange des genres qui fait cohabiter une image de dragon avec une représentation de Vulcain et un paysage de ruines romanesques.
Coraline de Chiara est ainsi une artiste qui choisit et sélectionne ses images, avant de les re-présenter sous la forme de tableaux trompe-l’œil. Ses sources iconographiques sont multiples et variées : du catalogue de vente au manuel des collections de l’Ecole du Louvre, en passant par des coupes géologiques trouvées sur Internet. Cette archéologie visuelle est intéressante dans la mesure où elle éclaire un aspect essentiel du travail de cette artiste : cette exposition peut ainsi se lire comme un assemblage, au sens archéologique du terme, c’est-à-dire une exhumation des vestiges de la culture visuelle et matérielle liées à l’image du volcan. Avec le réveil du Vésuve en 1631, le volcan devient en effet un topos de l’histoire artistique et littéraire, en particulier au moment de l’essor du mouvement romantique. Les toiles, de petits formats, présentées par Coraline de Chiara dans cette exposition, rappelle ainsi le phénomène des « gouaches napolitaines », qui étaient des représentations populaires du Vésuve, en vogue au XIX siècle.
Il est donc intéressant de se demander comment cette tradition iconographique vient-elle éclairer l’œuvre de cette artiste contemporaine ? Le Vésuve, tout comme le Merapi, sont d’abord des prétextes, ou plutôt des images du jaillissement et de la fête. Il s’agit de célébrer la manifestation d’un paysage dans toute sa force et d’admirer le spectacle grandiose de la nature. Ce qui intéresse ensuite particulièrement Coraline de Chiara dans le volcan, c’est sa façon de manifester la rencontre de deux plaques terrestres, qui le transforme en lieu de confrontation, de friction, mais également en lieu où viennent se résoudre des forces contraires. Le volcan c’est ainsi le pli, cette montagne plissée, qui emprunte à l’esthétique du baroque, telle que l’a défini Gilles Deleuze.
Dans cette exposition, la question du pli est omniprésente. Que ce soit dans le dessin ou dans la peinture, le Mérapiland est une structure qui se plie et se déplie, imitant ces circonvolutions de la matière décrites par Gilles Deleuze dans son essai sur Leibniz : « Le pli n’affecte pas seulement toutes les matières, qui deviennent aussi matières d’expression, suivant des échelles, des vitesses, des vecteurs différents (les montagnes et les eaux, les papiers, les étoffes, les tissus vivants, le cerveau), mais il détermine et fait apparaître la forme, il en fait une forme d’expression ». Pour reprendre l’expression d’Yves Pérès, l’art révèle ainsi le pli, l’appelle, le fait apparaître, pour lui-même poursuivre sa course. En d’autres termes, le pli est un art et l’art n’échappe pas au pli.
Dans le cas de Coraline de Chiara, ce pli devient la forme d’expression qui lui permet de dépasser l’image romanesque du volcan comme puissance créatrice pour interroger le processus artistique : Qu’est-ce que le pli cache ? Qu’est-ce qu’il révèle ? Et enfin, qu’est-ce qu’il laisse hors-champ ? Tout comme au cinéma, la peinture de Coraline de Chiara se nourrit de cette notion de champ ou d’espace. Ses assemblages sont comme des séries de morceaux dont la connexion n’est en aucune façon prédéterminée. Au spectateur de s’en saisir et d’en déplier le sens.