par Camille Paulhan

Je n’y peux rien, les ateliers m’émeuvent ; je voulais proposer pour thankyouforcoming des portraits d’atelier, des propos d’artistes glanés dans ces lieux, devant leurs œuvres. Il n’y est d’ailleurs pas forcément question de ces dernières, mais plutôt de ce qu’un atelier fait à la production artistique, de comment y travaille-t-on, comment y flâne-t-on.
Savoir, au juste, si et comment la lumière spécifique de l’automne sur les carreaux, l’acoustique défaillante ou les odeurs du restaurant mexicain au pied de l’immeuble influent sur les œuvres que produisent les artistes.
Savoir, également, ce qu’on y écoute comme musique, quelles cartes postales ont été punaisées aux murs, si l’on marche sur des bâches, du papier bulle, des points de peinture ou des chutes de papier. Y voir, aussi, les para-œuvres, les infra-œuvres, les pas-tout-à-fait-œuvres, les plus-du-tout-œuvres, et être donc au cœur du moment du choix.
Je n’avais pas très envie qu’apparaissent mes questions, elles se sont donc effacées.

« L’atelier n’est que l’extension du cerveau »

L’atelier de Coraline de Chiara, « le Celsius » est situé au Pré-Saint-Gervais : au mur, dans l’escalier, un thermomètre fixé au mur rappelle discrètement l’appellation intrigante du lieu tout autant que la température ambiante, moyennement élevée. Comme dans de nombreux ateliers de peintres, la hauteur sous plafond engage vivement au porter de plaid, vêture peu seyante mais fort pragmatique.
Coraline de Chiara partage son atelier, situé au premier étage d’une petite maison qui accueille également au rez-de-chaussée d’autres créateurs, avec un autre peintre, rencontré lors de ses études. Ce qui frappe d’emblée, dans l’espace qu’elle a choisi, ce sont les plantes vertes en pot, qui cohabitent avec les pinceaux, chiffons et pigments. Puis l’immense bureau, où se croisent des dizaines de petits objets, en plus des outils dont elle se sert pour ses collages et ses dessins et des livres, nombreux : pierres, kaléidoscopes en tout genre, bibelots choisis pour l’étrangeté de leurs formes. Enfin, la présence imposante de nombreuses œuvres en cours de réalisation, Coraline de Chiara se refusant à ne travailler qu’un médium à la fois. Ce sont, dans un coin, les petits dessins recouverts d’une cire qui vient opacifier leurs motifs ; plus loin, les collages en cours d’encadrement, et au mur une bonne quinzaine de peintures de tous les formats. Certaines sont monumentales, comme cette immense toile où l’on reconnaît, reproduites au pinceau large comme si elles étaient imprimées en quadrichromie, les colonnes antiques de Palmyre, à la limite de leur évanouissement. D’autres sont plus discrètes, notamment une série de petites toiles qui paraissent abstraites mais ne disent finalement pas autre chose : l’image s’y cache toujours, mais masquée, fondue, comme une empreinte qui pourrait réapparaître à tout moment. Une figuration suggérée qui apparaît d’autant plus vivement sur les murs, recouvert de traces de peinture, vestiges des épaves de bateau que Coraline de Chiara peint actuellement, estompées par des brosses plates.
À Poitiers, nous étions très peu à souhaiter peindre, et l’espace qu’on nous avait alloué était souvent vide d’étudiants, tandis qu’à Paris l’atelier est véritablement tenu par les étudiants qui l’occupent. Je suis entrée dans l’atelier de Jean-Michel Alberola, qui est composé de deux pièces. L’une qui est plutôt une salle de sages, toujours très bien tenue, très silencieuse, et l’autre beaucoup plus bordélique, un vrai lieu de vie. Alberola avait choisi de me placer dans cette deuxième salle, car il faisait très attention aux espaces dans lesquels on travaillait, et décidait de la juxtaposition des élèves et de leurs travaux. C’était très intéressant car il favorisait la proximité de pratiques très différentes pour pouvoir se nourrir et non former une famille picturale. Mais l’atelier était tout de même une sorte de jungle, il fallait se battre pour défendre sa place, et le fait d’être absent un mois pouvait être le signe qu’un espace devenait vacant. Pour ma part j’ai eu d’abord un petit espace à côté d’un radiateur, la place dont personne ne voulait, puis j’ai réussi à obtenir une place à côté de l’entrée. Sans être massière, j’aimais organiser des choses avec l’atelier, je me suis beaucoup impliquée pour organiser un voyage en Finlande ou pour faire paraître une édition de dessins d’étudiants, la « pile anti-crise ».
Après les Beaux-Arts, j’ai immédiatement cherché un atelier, et j’ai partagé un petit espace avec un designer, mais ce n’était pas très compatible avec ma pratique picturale et je ne suis restée là-bas qu’un an.
J’ai eu la chance par la suite de trouver ce lieu au Pré-Saint-Gervais, « le Celsius », où je suis désormais depuis trois ans. Comme l’espace était très grand, je l’ai partagé avec Julien des Monstiers, qui était avec moi à l’atelier Alberola aux Beaux-Arts. Nous avons tout fait : nous avons repeint, installé l’électricité, créé une mezzanine qui ressemble fortement à celle que l’on avait à l’atelier aux Beaux-Arts, et baptisé le lieu « le Celsius ». Nous sommes à l’étage, et les espaces du rez-de-chaussée sont loués à des dessinateurs ou des peintres ; deux fois dans l’année, nous nettoyons notre espace pour organiser des expositions de l’ensemble de l’atelier.
Il est important que l’espace de l’atelier soit morcelé : j’ai besoin d’un bureau, d’un coin plus en retrait pour pouvoir réaliser mes œuvres sur papier, mes encadrements. J’aime pouvoir travailler en même temps mes peintures, mes dessins, mes collages dans cette succession de petits espaces, sur plusieurs projets en même temps car je refuse de me restreindre à une seule série. Le fait de faire des va-et-vient entre des projets très différents, des grandes peintures figuratives, des petites abstractions, des reliefs de cire, des collages, me permet de mieux revenir à eux. Les uns révèlent les autres, et je pense qu’on comprend mieux ce qui relie tous mes travaux lorsqu’on les voit à l’atelier. Mais quand les œuvres sont finies, je préfère les ranger, je n’aime pas forcément les avoir sous les yeux. D’ailleurs je préfère partager mon atelier avec un peintre dont la pratique n’est pas proche de la mienne, car former une famille n’est pas stimulant pour nos productions : avec Julien, nous parlons beaucoup de peinture, et ces discussions nous enrichissent, mais nous ne nous influençons pas.
Je reçois à l’atelier des amis, des galeristes, des collectionneurs, des critiques d’art, des commissaires d’exposition ; mais je ne veux pas montrer l’atelier autrement qu’il est lorsque j’y suis au quotidien. L’atelier n’est pas une galerie ou une boutique mais bien un espace où je travaille. Il y a des travaux en cours, des taches au mur, des traces sur le sol. Au début, quand on entre dans un atelier, on rêve du white cube, de quelque chose d’un peu clinique, puis on réussit à s’en emparer. Il y a un déménagement brutal entre le moment où l’on produit une œuvre à l’atelier et celui où on l’expose. Le tableau qui est actuellement accroché au mur devrait en réalité être présenté dans le contexte de l’atelier, avec les traces de peinture au mur qui sont des strates de son évolution, car il a été pensé ainsi. Il s’agit d’une épave de bateau que j’avais peinte et qui a été au fur et à mesure fondue par des couches picturales qui l’ont rendue abstraite, et j’ai retiré le surplus en l’essuyant au fur et à mesure sur le mur.
J’ai décidé de faire de l’art pour être libre, et l’atelier est pour moi un immense espace de liberté. J’y travaille à mes œuvres, mais comme je travaille vite, plus en sprint qu’en endurance, j’ai besoin de temps de latence : à l’atelier j’écoute de la musique, des émissions de radio, j’y déjeune et surtout j’y joue. J’aime par exemple jouer au mikado, c’est un jeu de précision, comme la peinture peut demander de l’être. L’atelier n’est que l’extension du cerveau.

 

Camille Paulhan et Coraline de Chiara pour thankyouforcoming, Décembre 2016.

Coraline De Chiara, par Camille Paulhan