Erreur de la base de données WordPress : [INSERT, UPDATE command denied to user 'coraline4561'@'10.14.20.122' for table 'wp_options']INSERT INTO `wp_options` (`option_name`, `option_value`, `autoload`) VALUES ('_transient_doing_cron', '1735582050.0969810485839843750000', 'yes') ON DUPLICATE KEY UPDATE `option_name` = VALUES(`option_name`), `option_value` = VALUES(`option_value`), `autoload` = VALUES(`autoload`)
Coraline de Chiara travaille \u00e0 la conservation indisciplin\u00e9e d\u2019un patrimoine imaginaire, qu\u2019elle assemble et r\u00e9inscrit dans une cosmogonie personnelle. Collage, peinture, travail \u00e0 la cire, r\u00e9alisation vid\u00e9o ou (d\u00e9)confection d\u2018ouvrages sont chez elle autant de moyens de jouer librement avec les styles et les \u00e9poques, recyclant une iconographie pioch\u00e9e dans les livres, les cartes postales et les revues historico-scientifiques. Dans cette mus\u00e9ologie fictive, une anarch\u00e9ologie qui assume sa r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 l\u2019Atlas de Richter, la plasticienne collecte et reproduit un ensemble de motifs (statues antiques, \u0153uvres d\u2019art, ph\u00e9nom\u00e8nes m\u00e9t\u00e9orologiques, g\u00e9ologiques ou astronomiques\u2026) qu\u2019elle arrache \u00e0 leur suppos\u00e9 r\u00e9alisme. Les jeux de redoublement (peindre les calques et les scotchs, inscrire les param\u00e8tres de composition), l\u2019ajout de caches oblit\u00e9rant les figures et une composition proche du collage concourent ainsi \u00e0 rendre visibles, pour mieux les d\u00e9jouer, les m\u00e9canismes de repr\u00e9sentation. Mettant \u00e0 nu ces processus d\u2019artificialisation par lesquels une image en vient \u00e0 se figer dans ses \u00e9vocations, Coraline de Chiara oppose la constitution d\u2019une m\u00e9moire plastique aux effets scl\u00e9rosants de la mus\u00e9ification.<\/p>\n
Anarchivisme<\/strong><\/p>\n L\u2019\u0153uvre picturale de Coraline de Chiara constitue un appareil de conservation pour un ensemble d\u2019images d\u2019apparence documentaire, un patrimoine qu\u2019elle arrache \u00e0 ses repr\u00e9sentations objectives. La plasticit\u00e9 qu\u2019elle met en \u0153uvre renouvelle l\u2019abord de ces figures en leur r\u00e9assignant un sens, un contexte, une pr\u00e9sentation qui les d\u00e9mettent de leur fonction d\u2019archive. Tir\u00e9es de leur gangue mortif\u00e8re, les repr\u00e9sentations antiques (cheval de la dynastie Tang ou de S\u00e9l\u00e9n\u00e9, t\u00eate d\u2019Ife, de Brutus ou d\u2019H\u00e9racl\u00e8s) sont investies d\u2019une force vitale qui leur conf\u00e8re une nouvelle actualit\u00e9, quand la d\u00e9construction de tableaux de ma\u00eetres (de Friedrich, Manet, Bonnard, V\u00e9lasquez, Rubens ou Rembrandt) livre de l\u2019histoire de l\u2019art une lecture fragmentaire et \u00e9piphanique (leurs noms sont d\u2019ailleurs r\u00e9duits \u00e0 leur initiales). En regard, les peintures de R\u00e9serve apparaissent comme une mise en ab\u00eeme de cette d\u00e9marche: en reproduisant des toiles emball\u00e9es et des matrices de moules r\u00e9pertori\u00e9es dans un lieu d\u2019inventaire, ici du Louvre, elle affirme sa volont\u00e9 d\u2019appr\u00e9hender le cycle vital de l\u2019\u0153uvre de sa production \u00e0 sa conservation mus\u00e9ale.<\/p>\n Cette question du devenir des \u0153uvres d\u2019art est pour Coraline de Chiara in\u00e9vitablement li\u00e9e \u00e0 la question de sa reproductibilit\u00e9, qu\u2019elle soit mat\u00e9rielle ou mn\u00e9sique. En privil\u00e9giant le redoublement (filmer des documents ou des mus\u00e9es, peindre des peintures, des dessins, des photographies), elle rend tangible les d\u00e9formations produites par la reproduction, invitant \u00e0 un regard critique sur ces op\u00e9rations m\u00e9dianes. Il s\u2019agit en creux de se soustraire \u00e0 l\u2019autorit\u00e9 du r\u00e9cit id\u00e9ologique que suppose le geste d\u2019archivage. Dans Mal d\u2019archive, Derrida rappelle en effet combien la constitution d\u2019un patrimoine commun suppose toujours une autorit\u00e9 d\u00e9cisionnaire, un jeu de pouvoir et un ordre n\u00e9cessairement disciplinaire. Anarchiviste, en ce qu\u2019elle contrarie la double d\u00e9finition de l\u2019arkh\u00e9, la fois \u00ab commandement \u00bb et \u00ab commencement \u00bb, Coraline de Chiara pose les jalons d\u2019une arch\u00e9ologie critique, \u00e9mancip\u00e9e des assignations historiques, ancr\u00e9e dans un temps sans histoire.<\/p>\n Expression plastique de ce que Danto a pu identifier comme condition post-historique de l\u2019art, l\u2019\u0153uvre de Coraline de Chiara entretient un rapport anarchique au temps qui vise \u00e0 d\u00e9faire l\u2019histoire de l\u2019art de son autorit\u00e9. Malgr\u00e9 les apparences, elle rompt en effet avec la reconstitution chronologique pour embrasser la logique d\u2019une temporalit\u00e9 plus diffuse, installant un cadre en un sens uchronique, o\u00f9 le temps n\u2019est plus organisateur. Cette volont\u00e9 s\u2019exprime d\u00e8s ses premi\u00e8res \u0153uvres, des films de facture documentaire, tourn\u00e9s sans effet, ni mise en sc\u00e8ne, \u00e0 rebours de toute intention narrative. Portraits vivants ou sc\u00e8nes contemplatives, ils offrent une dur\u00e9e en partage, un temps non mesurable qui donne l\u2019occasion de \u00ab sympathiser \u00bb avec l\u2019\u00e9v\u00e9nement d\u00e9peint (un voyageur assoupi, l\u2019agonie d\u2018un cafard, le regard d\u2019un tigre en captivit\u00e9, les gestes signifiants d\u2019une quotidiennet\u00e9 silencieuse). Coraline de Chiara exploite dans ses vid\u00e9os une plasticit\u00e9 processuelle qu\u2019elle prolonge dans ses \u0153uvres graphiques, l\u2019impression de ralentissement de ses images film\u00e9es annon\u00e7ant la viscosit\u00e9 de la peinture ou la consistance de la cire qu\u2019elle utilise dans ses \u0153uvres ult\u00e9rieures. Proche de l\u2019ai\u00f4n, cette notion grecque remise au gout du jour par Deleuze, le temps \u00e9tir\u00e9 saisi par la plasticienne confond les temporalit\u00e9s historiques, g\u00e9ologiques et arch\u00e9ologiques dans un pr\u00e9sent \u00ab toujours pr\u00eat \u00e0 venir et toujours d\u00e9j\u00e0 pass\u00e9 \u00bb, une \u00ab forme vide du temps \u00bb \u00ab hors de ses gonds \u00bb 1, \u00e0 partir de laquelle r\u00e9interpr\u00e9ter librement les chronologies.<\/p>\n Au sein de cette arch\u00e9ologie uchronique, de cette anarch\u00e9ologie, tous les nivellements sont autoris\u00e9s. La plasticienne fait ainsi cohabiter des \u00e9poques, des styles ou des registres h\u00e9t\u00e9rog\u00e8nes, installant des \u00e9carts de sens qui se diluent dans la coh\u00e9rence de la composition. Sa s\u00e9rie de vid\u00e9os de karaok\u00e9 est sur ce point la plus parlante, mixant les images \u00ab sources \u00bb qui servent \u00e0 sa recherche plastique : photographies de voyages, paysages naturels, sc\u00e8nes d\u2019accident, tableaux, architectures urbaines, explosions, cristaux, extraits de films, ph\u00e9nom\u00e8nes m\u00e9t\u00e9orologiques, min\u00e9raux, com\u00e8tes, planches naturalistes ou de b\u00e9d\u00e9, images de suicide, de plong\u00e9e, extraits de magazine people, de mode, de sport\u2026 Anarchiques, au sens de sans principe, et indisciplin\u00e9s, ces d\u00e9filements rapides d\u2019images, au rythme de chansons pop up-tempo, installent les conditions d\u2019un regard pulsionnel, qui n\u2019a pas le temps de l\u2019analyse. A l\u2019image du projet Friedrich Mercury qui profite de la co\u00efncidence des anniversaires entre le chanteur du groupe Queen et le c\u00e9l\u00e8bre peintre, la collision des imaginaires pop, naturaliste et romantique installe la sc\u00e8ne d\u2019un univers insens\u00e9, qui ne r\u00e9pond \u00e0 aucune hi\u00e9rarchie.<\/p>\n Strates et plis, concr\u00e9tions plastiques<\/strong><\/p>\n A travers une esth\u00e9tique du cache et du fragment, Coraline de Chiara met \u00e0 nu les processus de repr\u00e9sentation, pens\u00e9e depuis la modernit\u00e9 comme une illusion (de Schopenhauer \u00e0 Gombrich en passant par la psychanalyse). Les plans de composition quadrill\u00e9s, les r\u00e8gles, op\u00e9rations de calcul et \u00e9quations rendues visibles concourent ainsi \u00e0 rationaliser le montage mental qui y pr\u00e9side, en rendant visibles les conditions m\u00eames de visibilit\u00e9. Rubans adh\u00e9sifs et morceaux de calques, voiles ou trompe-l\u2019\u0153il agissent de la m\u00eame mani\u00e8re comme des filtres d\u00e9formants qui obstruent, \u00e9clipsent ou floutent, d\u00e9monstrations de l\u2019impossible objectivit\u00e9 de la reproduction, mat\u00e9rielle ou mentale. Incr\u00e9dule avec l\u2019id\u00e9e de copie du r\u00e9el, Coraline de Chiara superpose ces couches pour mieux rendre compte des processus de s\u00e9dimentations \u00e0 l\u2019\u0153uvre au c\u0153ur de la perception visuelle. Le rendu, parfois proche du constructivisme russe ou du Bauhaus pictural de L\u00e1szl\u00f3 Moholy-Nagy, confronte ainsi la figuration \u00e0 la structure abstraite, le cadre mental, dans lequel elle s\u2019inscrit. Ici, le r\u00e9alisme de l\u2019image tient \u00e0 sa mani\u00e8re de se donner d\u2019embl\u00e9e comme une invention : son authenticit\u00e9 r\u00e9side dans sa capacit\u00e9 \u00e0 saisir un r\u00e9el brut en invitant le regard \u00e0 d\u00e9construire les m\u00e9canismes de sa repr\u00e9sentation.<\/p>\n A travers l\u2019application quasi syst\u00e9matique d\u2019un principe de soustraction, Coraline de Chiara prend la sculpture comme \u00e0 rebours, inscrivant son geste dans une plasticit\u00e9 n\u00e9gative, un modelage par effacement ou destruction de la forme. Ses \u0153uvres sont ainsi travers\u00e9es de caches, de trous, de manques, d\u2019absences et de vides, allant jusqu\u2019\u00e0 la d\u00e9sagr\u00e9gation pure et simple de la figure dans une explosion (une \u00e9ruption volcanique ou l\u2019allumage d\u2019une fus\u00e9e). Privil\u00e9gi\u00e9 dans son \u0153uvre (Space Odity, Life on Mars, Explosion\u2026), le motif du plastiquage en appelle autant au mythe astrophysique des origines, le big bang, qu\u2019\u00e0 un an\u00e9antissement final, une apocalypse, ouvrant sur un \u00e9tat anhistorique de la mati\u00e8re. A l\u2019image des livres dont elle recouvre la quasi totalit\u00e9 du texte au tipp-ex, ou Reste d\u2019un fait n\u00e9ant, qui reprend ce principe pour traiter de la question du nihilisme et de la trace survivante, la disparition ou l\u2019oblit\u00e9ration dans ses \u0153uvres laisse appara\u00eetre une narration impr\u00e9vue dans la narration originelle, da fa\u00e7on \u00e0 en contrarier la lecture lin\u00e9aire. A la mani\u00e8re des voiles dont Lacan dit qu\u2019ils excitent le d\u00e9sir de voir, du \u00ab non-finito \u00bb des sculptures de Michel-Ange relev\u00e9 par Vasari ou Condivi et des ruines artificielles dans la peinture romantique, les figures m\u00e9tonymiques de Coraline de Chiara plaident pour un laconisme esth\u00e9tique qui fait de la repr\u00e9sentation fragmentaire ou obstru\u00e9e le moyen le plus efficace de se figurer le tout. La C\u00e9cit\u00e9, une v\u00e9nus aux seins censur\u00e9s qui laisse seulement voir son nombril, son regard et ses cheveux, est ainsi pr\u00e9sent\u00e9 comme un f\u00e9tiche statuaire, sympt\u00f4me d\u2019une \u00e9rotique \u00e0 l\u2019\u0153uvre dans la contemplation artistique. Ces strates et ces couches perceptives invitent en effet le public \u00e0 un d\u00e9sir de reconstitution par l\u2019imaginaire, r\u00e9paratrice de ces manques, conf\u00e9rant une \u00e9paisseur \u00e0 l\u2019exp\u00e9rience esth\u00e9tique, et un relief \u00e0 la toile.<\/p>\n La recherche picturale sur le pli (Pli, Figure 8, M\u00e9rapi pli\u00e9), l\u2019origami (Tondo) ou le froissement (Man and Nature), r\u00e9currente dans son \u0153uvre, proc\u00e8de de cette m\u00eame intention de ne pas s\u2019en tenir \u00e0 la surface des choses. Coraline de Chiara revendique cette logique du d\u00e9pliage ou plut\u00f4t du \u00ab d\u00e9pliement \u00bb selon ses termes, le rapprochant davantage du d\u00e9ploiement. Inspir\u00e9 d\u2019un geste enfantin, ce geste contrarie avec une certaine impertinence la plan\u00e9it\u00e9 du tableau et joue de la superficialit\u00e9 de la repr\u00e9sentation en deux dimensions. Le puissant M\u00e9rapi tout contenu dans la peinture d\u2019un dessin repli\u00e9 sur lui-m\u00eame ou le m\u00eame volcan reconstitu\u00e9 grossi\u00e8rement, en miniature, avec des chutes de papier joue sur une analogie de proc\u00e9dure entre la constitution du monde et la cr\u00e9ation d\u2019une \u0153uvre graphique. Il s\u2019agit dans les deux cas de contrarier la surface, de lui insuffler le mouvement d\u2019un \u00ab d\u00e9pliement \u00bb potentiellement infini, de renouer avec la complexit\u00e9 d\u2019un monde toute contenue dans la figure du pli, des dynamiques g\u00e9ologiques (les concr\u00e9tions min\u00e9rales et telluriques) aux processus de morphogen\u00e8se biologique (les circonvolutions du cerveau, le tissu dermique).<\/p>\n Avec son travail \u00e0 la cire, Coraline de Chiara travaille plus pr\u00e9cis\u00e9ment cette intuition, celle d\u2019une identit\u00e9 de plasticit\u00e9 entre la nature \u00e0 l\u2019\u0153uvre et l\u2019\u0153uvre de l\u2019humain. Mani\u00e8re de saisir dans leurs dynamiques le relief, les strates et les plis, l\u2019utilisation de la cire renoue avec un fa\u00e7onnage primitif, avec les traditions antiques des masques fun\u00e9raires, des figures en cire ou de l\u2019encaustique. Ce geste porte \u00e0 son paroxysme le projet de confusion plastique du sculptural et du pictural dans la saisie d\u2019une mati\u00e8re en devenir, proche du corps vivant. En expansion, diffuse \u00e0 travers la surface, la cire permet en effet de cr\u00e9er des images fantomatiques et des effets de mati\u00e8re par lesquels Coraline de Chiara dynamise, vitalise, des images d\u2019archives historiquement fig\u00e9es dans un immobilisme de fa\u00e7ade.<\/p>\n Cosmobilit\u00e9<\/strong><\/p>\n Coraline de Chiara imprime ainsi une mobilit\u00e9 \u00e0 ses figures qui cherche \u00e0 co\u00efncider avec les dynamiques du monde. Comprenant l\u2019environnement naturel, l\u2019humanit\u00e9 et les corps astraux, la cosmologie qu\u2019elle d\u00e9ploie trouve ainsi son unit\u00e9 au gr\u00e9 des mouvements qui la traversent. Ses premiers projets vid\u00e9o sont d\u2019ailleurs motiv\u00e9s par un voyage, une errance dans une nature sauvage, brute, parfois inhospitali\u00e8re, o\u00f9 se reconnecter avec les forces telluriques. La randonn\u00e9e (le long du sentier GR20 en Corse) ou l\u2019ascension sur les volcans (le M\u00e9rapi en Indon\u00e9sie) sont pour elle l\u2019occasion de capter les forces qui habitent et forgent un paysage. Dans cette mesure, elle s\u2019inscrit pleinement dans l\u2019\u00e9quation \u00ab marcher, cr\u00e9er \u00bb, notamment th\u00e9oris\u00e9e par Thierry Davila \u00e0 propos de Francis Al\u00ffs, Richard Long, Hamish Fulton, m\u00eame si elle s\u2019en distingue par une attention port\u00e9e \u00e0 ce qui, sur sa route, appara\u00eet comme en sommeil. Dans la vid\u00e9o Voyage, r\u00e9alis\u00e9e au cours d\u2019une p\u00e9r\u00e9grination \u00e0 travers le Vietnam, Coraline de Chiara filme les voyageurs endormis, plong\u00e9s dans leurs journaux ou les yeux perdus dans le vide. Capt\u00e9s \u00e0 leur insu, \u00e0 travers les lattes de bois qui s\u00e9parent les compartiments du train, ils affichent une pr\u00e9sence diffuse, fantomatique, presqu\u2019incertaine, indice d\u2019une vitalit\u00e9 invisible mais non moins r\u00e9elle. A travers ses voyages dans des pays insulaires (en Nouvelle-Cal\u00e9donie, en Nouvelle-Z\u00e9lande ou en Australie), elle fait l\u2019exp\u00e9rience imm\u00e9diate d\u2019une correspondance entre la dynamique du corps et la tectonique du milieu, traquant les signes d\u2019une \u00e9nergie potentielle commune \u00e0 l\u2019inerte et au vivant.<\/p>\n La peinture des pierres marque le temps d\u2019un abandon de la marche au profit d\u2019une pose contemplative, ou bien plut\u00f4t d\u2019un changement de rythme. Coraline de Chiara ralentit consid\u00e9rablement le pas pour adopter la temporalit\u00e9 \u00e9tendue du r\u00e8gne min\u00e9ral, exploit\u00e9 sous de multiples formes (sels, cristaux d\u2019argent, malachite, proustite, smithsonite, aigue marine, rubis sur calcaire m\u00e9tamorphique\u2026). Au-del\u00e0 de leur \u00e9vident int\u00e9r\u00eat esth\u00e9tique, en termes de g\u00e9om\u00e9trie, de couleur et de transparence, Coraline de Chiara cherche \u00e0 en rendre les forces de croissance, cette vitalit\u00e9 de la roche, depuis sa gen\u00e8se comme poussi\u00e8re d\u2019\u00e9toile aux op\u00e9rations de s\u00e9dimentation, cristallisation ou fossilisation qui la m\u00e9tamorphosent sur Terre. Au cycle de production-conservation des \u0153uvres se juxtapose ainsi celui d\u2019une cosmologie o\u00f9 le biologique et le lapidaire s\u2019\u00e9quivalent. En prenant le parti d\u2019illustrer artistiquement la biomin\u00e9ralit\u00e9, la plasticienne met en sc\u00e8ne le prolongement ontologique du calcaire et de l\u2019osseux, des cristallisations du vivant et de l\u2019inanim\u00e9, jusqu\u2019\u00e0 affirmer la co\u00efncidence des roches, poussi\u00e8res d\u2019\u00e9toiles ou glaise biblique, et des pigments ou d\u2019huiles naturels r\u00e9employ\u00e9s dans l\u2019art, fa\u00e7onnant une vision totale de la plasticit\u00e9 du monde.<\/p>\n Il y a enfin dans cette fa\u00e7on qu\u2019a Coraline de Chiara d\u2019aborder la nature et d\u2019en d\u00e9jouer la repr\u00e9sentation une fa\u00e7on tr\u00e8s contemporaine de convoquer la question du sublime, dans une perspective proche de la pens\u00e9e lyotardienne. Ce sublime contemporain conserve chez elle l\u2019id\u00e9e d\u2019une transgression, d\u2019une invitation \u00e0 voir \u00ab au-del\u00e0 des limites \u00bb (sub-limes), ici les calques ou les caches, mais, au contraire de son interpr\u00e9tation classique ou romantique, son mouvement ne renvoie \u00e0 aucune transcendance, \u00e0 aucun h\u00e9ro\u00efsme, ni \u00e9l\u00e9vation. A l\u2019image de Carthage, reproduction d\u2019une photographie d\u2019un site de fouilles antiques, au milieu duquel une excavation entour\u00e9e de ruines, les \u0153uvres de Coraline de Chiara semblent indiquer au contraire un point de fuite infini pleinement inscrit sur un plan d\u2019immanence. En multipliant ces motifs ind\u00e9finis dans ses \u0153uvres (le d\u00e9pliement sans borne, la monstruosit\u00e9 des agglom\u00e9rats min\u00e9raux, la dissolution des traits dans La Fuite ou Bibendum), elle installe les conditions d\u2019une peinture d\u00e9figurative, pleinement ouverte \u00e0 sa d\u00e9construction infinie. L\u2019\u00e9clatement de la repr\u00e9sentation dans ses compositions abstraites (First Fade, Baume (I, II, III), Dioscures ou Velvet) am\u00e8ne ainsi \u00e0 une pr\u00e9sentation dont le d\u00e9faut est l\u2019indice d\u2019un impr\u00e9sentable. De la m\u00eame mani\u00e8re, la plasticienne ne cherche \u00e0 saisir du monde physique que les vrombissements sourds et les forces telluriques tapis en son c\u0153ur, entre d\u00e9bordements puissants et \u00e9quilibres pr\u00e9caires. A l\u2019heure o\u00f9 les bouleversements \u00e9cologiques commandent un nouveau rapport au monde, le sublime s\u2019affirme ici comme le moyen de renouer avec une certaine humilit\u00e9 face au spectacle de la nature. Enigmatique, partielle et atemporelle, l\u2019\u0153uvre de Coraline de Chiara est alors l\u2019indice d\u2019une survivance n\u00e9cessaire, r\u00e9sistant \u00e0 la dissolution d\u2019un monde perdu, que l\u2019\u00e9poque contemporaine ne parvient plus \u00e0 sublimer.<\/p>\n Florian Gait\u00e9, 2016<\/p>\n