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\u00ab Une grande partie de mon travail est constitu\u00e9e d\u2019un ensemble d\u2019\u0153uvres qui ont vocation \u00e0 \u00e9voquer l\u2019arch\u00e9ologie et l\u2019Histoire. J\u2019ai \u00e9tabli un processus qui est commun \u00e0 ma pratique, consistant \u00e0 trouver un livre ou un document qui va m\u2019interpeller et qui va ainsi me servir d\u2019inspiration pour mes cr\u00e9ations. Je vais imm\u00e9diatement me poser la question de savoir : est-ce que ce document, cette reproduction est fid\u00e8le \u00e0 l\u2019\u0153uvre qui est repr\u00e9sent\u00e9e ? Est-ce que le document fait acte de v\u00e9rit\u00e9 ? Dans quelle mesure celui-ci peut-il redevenir v\u00e9rit\u00e9 ? \u00bb.<\/p><\/blockquote>\n
Pr\u00e9occup\u00e9e par les probl\u00e9matiques de l\u2019image (aussi bien physique que mentale) que renvoient les \u0153uvres constituant notre patrimoine, Coraline de Chiara, jeune artiste fran\u00e7aise dipl\u00f4m\u00e9e des Beaux-Arts de Paris, s\u2019interroge sur les notions de repr\u00e9sentation, d\u2019h\u00e9ritage et de construction.<\/p>\n
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T\u00eate d\u2019un prince ach\u00e9m\u00e9nide, 2015. Huile sur toile, 116x89cm<\/h6>\n<\/div>\n
A travers ses collages, peintures, et installations, l\u2019artiste regroupe une partie du patrimoine de l\u2019humanit\u00e9, permettant ainsi une confrontation entre les \u0153uvres et introduisant une r\u00e9flexion sur les rapports qu\u2019elles entretiennent \u00e0 la fois entre elles, mais aussi avec l\u2019Histoire. Une sorte d\u2019unification des civilisations et des arts autour d\u2019une probl\u00e9matique commune : comment traiter plastiquement la question de l\u2019h\u00e9ritage ? A l\u2019instar de Maurice Denis qui estimait qu\u2019un tableau, \u00ab avant d\u2019\u00eatre une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleur en un certain ordre assembl\u00e9es \u00bb (1), Coraline de Chiara envisage la peinture comme \u00ab un acte qui consiste \u00e0 d\u00e9poser et \u00e9tirer de la mati\u00e8re sur un support \u00bb. L\u2019occasion pour l\u2019artiste, d\u2019abord initi\u00e9e \u00e0 la vid\u00e9o, d\u2019introduire dans ses \u0153uvres une temporalit\u00e9 en deux temps.<\/p>\n
\u00ab Dans ma fa\u00e7on de cr\u00e9er\u00a0mes images, il y a cette id\u00e9e de faire cohabiter diff\u00e9rents temps. Il y a d\u2019une part un plan qui va permettre de cr\u00e9er une profondeur, une illusion, et d\u2019autre part un premier plan parasite qui va soit servir \u00e0 cacher (par le biais de trompe l\u2019\u0153il ou de calques), soit mettre en avant la platitude de la toile avec l\u2019utilisation du scotch notamment \u00bb.<\/p><\/blockquote>\n
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La c\u00e9cit\u00e9, 2016. Huile sur toile, 82x103cm.<\/h6>\n<\/div>\n
Contrairement \u00e0 la vid\u00e9o qui, tout comme l\u2019Histoire ou le cours d\u2019une vie, dispose sch\u00e9matiquement d\u2019un d\u00e9but, d\u2019un milieu et d\u2019une fin, la peinture est elle d\u00e9tach\u00e9e de toute id\u00e9e de chronologie. Pour reprendre les principes \u00e9nonc\u00e9s par Walter Benjamin ou Andr\u00e9 Malraux, \u00e0 partir du moment o\u00f9 la fonction et la valeur cultuelle commun\u00e9ment rattach\u00e9es \u00e0 un objet ou un monument ont \u00e9t\u00e9 annihil\u00e9es, l\u2019art a pu se caract\u00e9riser par son aspect atemporel et exister par et pour sa dimension esth\u00e9tique et culturelle. C\u2019est ainsi qu\u2019\u00e0 la fin du 18\u00e8me si\u00e8cle, suite \u00e0 la R\u00e9volution Fran\u00e7aise et en r\u00e9ponse \u00e0 l\u2019exc\u00e8s de vandalisme qui fit rage \u00e0 cette p\u00e9riode, la notion de monument historique appara\u00eet : \u00ab notre conscience historique, moment de l\u2019histoire et accident des si\u00e8cles, a transform\u00e9 notre h\u00e9ritage artistique \u00bb Andr\u00e9 Malraux (2). S\u2019est alors imm\u00e9diatement pos\u00e9e la question de la conservation et de la pr\u00e9servation de cet h\u00e9ritage notamment \u00e0 travers la mise en place d\u2019un syst\u00e8me d\u2019archives, de reproductions. Coraline de Chiara appr\u00e9hende cette documentation comme une sorte de momification : pour l\u2019artiste, l\u2019\u0153uvre qui est reproduite est en quelque sorte \u00ab prise dans le papier \u00bb. De cette r\u00e9flexion est n\u00e9e toute une s\u00e9rie d\u2019exp\u00e9rimentations plastiques autour des questions de baume, de protection, et de r\u00e9serve.<\/p>\n
\u00ab La notion de r\u00e9serve est tr\u00e8s importante dans ma pratique. Cette zone qui est non-utilis\u00e9e mais apparente permet d\u2019\u00e9voquer la question de ce qui doit \u00eatre conserv\u00e9 et mis en valeur, et ce qui ne l\u2019est pas. Plastiquement, la r\u00e9serve est une absence. On retrouve cette absence \u00e9galement en mati\u00e8re de reproductions : le document finalement sert \u00e0 remplacer quelque chose qui n\u2019est pas l\u00e0. Cela induit aussi une notion de perte : qu\u2019est-ce que l\u2019on perd avec le document ? Au niveau du rendu des couleurs, des mati\u00e8res ? Je me pose toujours la question de savoir si le document est \u00e0 l\u2019image de l\u2019\u0153uvre repr\u00e9sent\u00e9e \u00bb.<\/p><\/blockquote>\n
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R\u00e9serve II ou la copie, 2015. Huile sur toile, 300x210cm.<\/h6>\n<\/div>\n
Part prenante et essentielle de son processus cr\u00e9atif, l\u2019artiste place toujours le document \u00e0 l\u2019origine de ses \u0153uvres, qu\u2019elle d\u00e9cide de manipuler via des bains d\u2019encre ou de cire, de d\u00e9composer en plusieurs extraits, ou de transformer en collage. L\u2019artiste exploite \u00e9galement parfois la peinture comme un outil de cristallisation de l\u2019intervention manuelle qu\u2019elle a pu avoir sur le document, faisant ainsi varier les m\u00e9diums utilis\u00e9s et jouant sur les superpositions et les rendus de mati\u00e8res.<\/p>\n
\u00ab J\u2019ai pour habitude de puiser dans le pass\u00e9 pour comprendre ce qu\u2019il se passe actuellement. La majorit\u00e9 de mon travail est centr\u00e9e sur cette pr\u00e9occupation li\u00e9e \u00e0 l\u2019Histoire et \u00e0 l\u2019image qui en d\u00e9coule, or aujourd\u2019hui j\u2019essaie d\u2019effacer l\u2019image. Je m\u2019interroge sur cet effacement qui, en quelque sorte, fait lui aussi acte d\u2019Histoire. Il s\u2019agit l\u00e0 de tout un processus chronologique dans ma pratique \u00bb.<\/p><\/blockquote>\n
Dans le cadre de sa r\u00e9sidence \u00e0 la Progress Gallery, l\u2019artiste a choisi de d\u00e9velopper une exposition intitul\u00e9e \u00ab Des colonnes en moins \u00bb, sorte de collage g\u00e9ant dans lequel les \u0153uvres se r\u00e9pondent, circulent et se r\u00e9v\u00e8lent les unes aux autres. En partant de la r\u00e9cente explosion du site arch\u00e9ologique de Palmyre, Coraline de Chiara apporte une r\u00e9flexion plastique et symbolique sur la notion de d\u00e9bordement, de fondation, et de reconstruction. L\u2019occasion de retrouver les probl\u00e9matiques qui sont ch\u00e8res \u00e0 l\u2019artiste, \u00e0 savoir : \u00ab qu\u2019est-ce qui fait Histoire ? Comment remplace-t-on les choses ? \u00bb La possibilit\u00e9 pour le site de Palmyre d\u2019\u00eatre reconstruit par l\u2019UNESCO est \u00e9vocatrice de ce besoin de conserver notre patrimoine culturel \u00e0 l\u2019extr\u00eame, que l\u2019artiste compare \u00e0 des \u00ab artefacts \u00bb. Symbole ascensionnel de la conqu\u00eate et de la dominance d\u2019une civilisation, la colonne est en ce sens repr\u00e9sentative du pouvoir et de l\u2019id\u00e9ologie qui sont conf\u00e9r\u00e9s aux biens mat\u00e9riels. Coraline de Chiara s\u2019interroge ainsi sur cette difficult\u00e9 \u00e0 accepter la disparition d\u2019une partie de notre h\u00e9ritage et sur la fa\u00e7on dont les images peuvent devenir des symboles, et les objets des reliques.<\/p>\n
\u00ab Peut \u00eatre un jour faudra-t-il fermer les portes [des mus\u00e9es] et conserver la poussi\u00e8re tellement il sera pr\u00e9cieux de se souvenir \u00bb (Christian Bernard).<\/p>\n
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73,6, 2013. Collage, graphite et crayon, 18x24cm. Collection priv\u00e9e.<\/h6>\n<\/div>\n
(1) Maurice Denis,\u00a0Revue Art et Critique<\/em>, du 30 ao\u00fbt 1890.
\n(2) Andr\u00e9 Malraux,\u00a0Le mus\u00e9e imaginaire<\/em>, p246-247, chapitre III.<\/p>\n<\/p>\n